Marcel Thorel : La petite histoire d’une fraude.

Quand j’étais môme et que mon diagnostic est tombé, à l’ère poussiéreuse pré-internet des années 80, mes parents ont trouvé un soutien certain à l’AFM.
Association Française contre les Myopathies, mère du Téléthon, cette grand messe charito-validiste qu’aujourd’hui je vomis de toute mon âme.

J’en dis souvent du mal, mais pour nous à l’époque, faut avouer que c’était cool.
C’était pour mes parents la seule source d’information correcte sur ma maladie, les concernés étant souvent bien plus informés que les médecins. Il y avait dans l’asso une volonté et des actions pour améliorer nos conditions de vie, par la médecine mais pas seulement.
En ce qui me concerne, tout simplement, j’y rencontrais les miens, une ou deux fois par an, et y nouais des amitiés qui m’ont solidement construite.
Au quotidien je renâclais à fréquenter d’autres handis, Il faut dire que je n’y croisais que des adultes, que je trouvais si mornes. Mais l’AFM me dévoilait un monde plus désirable, qui ressemblait au mien : beaucoup d’enfants roulant des mécaniques, complices et plein d’humour. Et je crois que ceci poussait les adultes à en faire une asso moins plan-plan que les autres.

Lors des assemblées générales, était souvent exposé ce grand poster emblématique des nos luttes : l’évolution technique des fauteuils roulants, témoin de l’évolution de la société.
À gauche de la frise chronologique, des fauteuils manuels ringards et lourds, de chrome et de cuir, à droite des fauteuils électriques colorés pour enfants.
Et au milieu, le point de rupture. 1972 : Marcel Thorel ramène les premiers fauteuils électriques d’Angleterre, en fraude.
EN FRAUDE, rendez-vous vous compte ?!
Ce héros ! Loin de l’imago « leçon de vie », le gaillard transgressait les lois au nom de la justice sociale ! Trop badass, mon idole !
J’enjolive un peu, en quittant l’assemblée générale j’oubliais probablement Marcel jusqu’à l’année suivante.
Mais à chaque fois, petit frisson devant cette fresque. Ça a compté, vraiment, on a si peu de modèles.
L’idée de fraude m’était sûrement bien floue avant 10 ans, et je me suis construite avec l’idée qu’en fraudant, il avait fait un truc interdit, et mon pays qui INTERDIT les fauteuils électriques, bordel quel monde de merde ?!

Puis j’ai grandi avec cette légende dans mon bagage, sans y repenser plus sérieusement.
Et puis en 2018, l’AFM a célébré ses 60 ans, non sans rappeler ce morceau de bravoure dans cette courte vidéo.

(Les descriptions d’images sont sous la vidéo, sur youtube)

EUREKA ! La vérité me frappe alors : Les fauteuils n’étaient évidemment pas interdits, simplement pas commercialisés, et notre escroc a juste fraudé la taxe à la fontière !
J’ai ri ! J’ai tellement ri de ma naïveté enfantine, et de ce gros radin, toujours mon héros néanmoins.

Passés les hoquets de rigolade, Marcel n’a évidemment pas démérité. Bien sûr que ce genre de matériel ne devrait pas être taxé, il a bien eu raison notre audacieux ! Il a fait le voyage pour ramener 2 fauteuils BEC dans son coffre. En 1985, c’est ce modèle qui a été mon tout premier fauteuil électrique à 5 ans 1/2. Très moche, mais précieuse clé de ma liberté. Par la suite, Marcel aurait créé la première société d’import de fauteuils électrique (Je ne veux rien savoir de la compta du gredin !), tout en militant pour leur remboursement par la sécurité sociale.

Marcel Thorel reste une pierre de mon chemin, un grand homme de ma petite histoire, construite avec des bouts de ficelle. Je n’ai pas su trouver plus d’informations sur lui, que ce que je viens de vous raconter, et j’en suis triste.

Je crois que je vais essayer d’écrire ces histoires, comme j’aurais aimé les lire.
Je ne serai ni historienne ni biographe, mais j’ai envie de raconter des petites histoires, par l’anecdote, par l’humain, avec des bouts de moi dedans, parce que c’est comme ça que j’écrit.
Je crois à l’importance des petites histoires, de nos petites histoires. Je suis persuadée que mises bout à bout, elles comptent au moins autant que les grands actes révolutionnaires.
Il n’y aura pas que des idoles à la Marcel, seulement des histoires qui forment notre héritage, notre culture.